Échange d’objets, de pratiques, de connaissances
Avant de vous demander quels sont ces fous qui ouvrent un magasin à l’époque de la crise économique, avant de vous étonner du choix de la rue, du quartier et de l’activité, nous voulons vous dire que ce lieu est notre proposition et notre réponse à un quotidien qui produit, consomme, jette, pollue, s’ennuie et devient de plus en plus monotone et uniforme. Notre démarche n’est pas une réponse à la crise économique du système. Skoros a la structure d’une économie solidaire, propose une résistance créative, et, en s’unissant à d’autres résistances analogues, veut créer les bases pour une autre société.
Ce lieu n’est pas nouveau. Skoros est le bazar de gratuité de Sporos, qui a déménagé dans son propre espace autonome. La création, dans Sporos, d’un commerce alternatif et solidaire nous a conduit au cœur de la reproduction de notre société marchande, à savoir la consommation. La critique de la surconsommation a été l’aboutissement naturel de notre problématique et de notre effort pour créer les structures d’une économie solidaire, une économie qui ne produira pas des besoins avec le but du profit économique indépendamment des effets sur l’environnement et la société, une économie basée sur les valeurs et les pratiques de l’offre, du partage, de l’échange. Une économie qui ne sera pas basée sur l’exploitation des hommes et de la nature. Une économie qui visera à la justice sociale.
À partir du moment où le bazar de gratuité a été embrassé par nous tous, il a dû déménager car l’espace dans Sporos était trop petit. Il a fallu chercher un espace plus grand car ces deux dernières années des nouvelles idées d’échange, de partage, de solidarité et de création sont nées et ont porté des fruits. Nous continuons et nous vous invitons à continuer ensemble. Mais rappelons-nous d’abord les raisons pour lesquelles ce qu’on appelle bazar de gratuité a été créé.
Pensons aux habits que nous échangions avec nos amis, rappelons-nous des habits que nous donnaient nos frères et nos cousins plus âgés, des habits inutiles dans nos armoires et nos tiroirs, des habits que nous ne portons plus mais ça nous fait de la peine de les jeter. Des T-shirts, des pantalons, des jupes, des portables, des lunettes de soleil que nous achetons chaque saison, que nous portons pendant deux mois et qui aboutissent finalement dans un tiroir.
Pensons à l’argent que nous dépensons tous les ans pour tout ça et à combien d’heures de travail cet argent correspond. Pensons à nos cartes bancaires endettées, aux emprunts que l’on paye avec difficulté.
Pensons aussi à ceux qui fabriquent tous ces produits uniformes et bon marché. Ce sont d’habitude des femmes et des enfants qui travaillent dans des conditions inhumaines, avec des salaires humiliants et des horaires anéantissants.
Pensons à l’énergie nécessaire pour que ces produits, fabriqués au tiers-monde, arrivent à nous.
Pensons aux déchets créés par toutes ces choses inutiles dont on s’est lassées.
Pensez sérieusement à notre proposition.
Notre bazar n’est pas un bazar de charité. Ce n’est pas nécessaire d’être pauvre, ou d’avoir un pouvoir d’achat bas. La réutilisation et la modification ne sont ni un désavantage ni une misère. C’est une résistance créative à une civilisation qui donne de la valeur à l’emballage mais qui perd l’essentiel. Notre proposition nous concerne tous. C’est une contestation de la consommation, un refus du dogme « je consomme donc j’existe, consommation = bonheur = plénitude ».
Notre bazar est gratuit, solidaire et anti-consommateur.
Notre bazar nous concerne tous, que ce soit du côté de celui qui offre, de celui qui accepte, ou encore mieux des deux côtés à la fois. Ce n’est pas le contenu de votre armoire qui nous intéresse. Nous ne pouvons pas et nous ne voulons pas gérer des habits, des jouets, des livres et autres objets que vous ne voulez pas jeter mais que vous ne savez pas où les donner. En un mot, nous ne sommes pas « l’église alternative » qui distribue des choses aux pauvres et à tous ceux qui souffrent.
Ce serait incohérent par rapport à notre action et à nos croyances. Nous voulons vous faire complices de la réutilisation, de l’offre, et des petites failles que l’on peut faire toutes et tous ensemble dans la poursuite perpétuelle des produits de plus en plus nombreux, dans la consommation intarissable, dans l’exploitation.
Nous voulons vous faire complices de l’échange et de l’offre de temps, d’idées et de pratiques dans le but de pouvoir donner et prendre sans l’aide d’intermédiaires et en dehors des rapports commerciaux (par exemple j’échange des cours d’anglais avec du baby-sitting, etc.).
Cherchez ! Vous trouverez des choses dont certains en ont marre mais que vous avez besoin.
Apportez-nous tout ce que vous n’utilisez pas. Ça peut être utilisé ou modifié par quelqu’un d’autre.
Réfléchissons sur la possibilité de créer des réseaux d’échange d’actions, de partager des connaissances et des expériences. Ce serait par exemple intéressant si quelqu’un nous apprenait à coudre, ou si quelqu’un d’autre nous apprenait à modifier un meuble, un habit ou un objet.
Venez prendre connaissance de notre local, rangez les objets ou les habits que vous avez apportés, essayez ceux que vous voulez prendre.
Créez vous aussi des réseaux analogues, avec vos amis, vos collègues, vos parents. Ce n’est pas nécessaire d’avoir un lieu, c’est l’information qui est indispensable. Des centaines de réseaux dans Internet offrent et échangent des produits. Créez le votre ou participez à ceux qui existent déjà.
La consommation n’est pas liée seulement à notre pouvoir d’achat. C’est une chasse perpétuelle d’un bonheur illusoire. C’est l’illusion d’être quelqu’un d’autre qui répond à un modèle précis qui a une date d’expiration. C’est cette activité humaine – sociale – économique qui nous rend tous similaires, avec les mêmes habits, les mêmes accessoires, les mêmes appartements, les mêmes comportements, que ce soit dans la métropole ou dans le village.
C’est notre participation à la pollution de la planète, à l’épuisement des ressources naturelles, à la misère du Tiers-monde. C’est notre participation aux heures infinies de travail, au manque de temps libre et de contact humain.
Nous ne considérons pas notre proposition comme une panacée.
Nous pensons cependant que c’est un pas en avant. C’est une résistance créative à notre société consommatrice et monotone, c’est un moyen de contester, à travers notre pratique quotidienne, les rapports économiques dominants. C’est un essai pour scruter, dans des conditions réelles, des façons différentes de faire les choses. C’est une tentative de faire valoir des valeurs comme le respect, la solidarité, la justice, l’autogestion, lesquelles pourraient structurer notre vie quotidienne. Ces rapports économiques différents que nous essayons de scruter peuvent se développer seulement dans le cadre d’une autre économie, d’une autre société. En contestant activement la consommation incessante, nous nous libérons du système qui la crée, du cycle interminable du développement, de la production, du profit, de l’exploitation.
pdf: Skoros_fr